Ann
Le cheminement qui m'a permis de trouver ma voie... et ma voix.
Plus je racontais mon histoire et mieux je me sentais. Je sentais une légèreté m'envahir... Plus je parlais à des gens, plus je me sentais appréciée et comprise... et cela me faisait plaisir !
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Note sur le contenu : cette histoire contient quelques références à la dépendance et à la consommation de drogues.

Révéler

La plupart des nuits, je les passais à déambuler dans les rues du centre-ville d'Ottawa, tard le soir, à consommer et à vendre des opioïdes. J'avais une réputation qui me précédait et les trafiquants de drogue se liaient d'amitié avec moi parce que j'étais douée pour soutirer de l'argent aux gens. J'étais à la fois crainte et téméraire.

Chassée sans cesse d'un endroit à un autre, j'étais vraiment en marge de la société et je n'avais nulle part où aller. J'avais coupé les pont d'avec ma famille, je faisais des allers-retours en prison et j'avais l'impression de n'avoir plus grand-chose à perdre.

Et donc j'errais dans les rues la nuit. Sans but, tapie comme les ombres qui s'accrochent aux murs de briques délabrés des immeubles  .

Je me souviens d'une nuit en particulier. J'étais malade à cause de la drogue et je cherchais un endroit où m'injecter les médicaments que je venais de récupérer. J'ai alors pensé particulièrement à un parc situé le long de mon trajet habituel. Tandis que je me dirigeais dans sa direction, j'ai entendu faiblement une voix - un murmure avec un rythme - au loin. J'ai marché en direction de ce son et en me rapprochant, j'ai remarqué que celui-ci était une sorte de chanson ou de chant. Et il me semblait familier.

"Oui, oui, j'ai déjà entendu cette chanson", me suis-je dit. C'était une chanson qui était chantée lors de cérémonies et de rassemblements autochtones. Ça donnait quelque chose comme : Hay Yaaaaa Hooo Haaaay Yaaaa Hooo... Alors que je continuais vers le parc, le chant devenait de plus en plus fort.

Je suis rapidement tombée sur le chanteur, un homme d'une quarantaine d'années aux longs cheveux noirs, assis sur une couverture étalée dans l'herbe fraîche. Il avait les yeux fermés, le menton légèrement incliné vers le ciel étoilé, et ses mains étaient posées sur ses genoux. J'ai remarqué que c'était mon frère "Chief", c'était ainsi qu'on l'appelait dans la rue..  

Lorsque je suis arrivée près de lui, j'ai respecté son intimité et je lui ai demandé la permission de me joindre à lui.

"Bien sûr, ma sœur, assieds-toi", répondit-il doucement, les coins de sa bouche légèrement tournés vers le ciel. "J'étais juste en train de chanter à l'intention des ancêtres et de leur demander des conseils sur la façon de contacter ma famille pour partager quelques nouvelles avec eux."

"Veux-tu partager avec moi ce que tu dois leur dire ?" J'ai répondu. "Peut-être que je peux t'aider."

Chief a continué à chanter doucement et je suis restée assise en pensant à la dose que je devais préparer. Il s'est alors tourné vers moi et m'a dit qu'il devait trouver un moyen de dire à sa famille qu'il était séropositif.

Je l'ai regardé fixement puis j'ai rapidement détourné mon regard vers le bas, ne voulant ni l'effrayer ni l'offenser. Je suis restée assise un moment, fixant de mon regard mes mains posées sur mes genoux. Je pouvais sentir des larmes chaudes commencer à rouler sur mes joues. En gardant mon regard vers le bas, j'ai murmuré : "Moi aussi, je suis séropositive."

Au début, je n'étais pas certaine qu'il m'ait entendue, mais ce qu'il a fait ensuite m'a prouvé que oui. Il a passé son bras au-dessus de moi et m'a serrée très fort.

Nous sommes restés assis en silence encore quelque temps et pendant ce temps, j'ai commencé à percevoir un changement dans la façon dont je me sentais. Je me sentais plus légère que je ne l'avais été depuis des mois, voire des années. Je l'ai rassuré en lui disant qu'après ce soir il lui serait désormais plus facile d'annoncer la nouvelle aux gens, puisqu'il l'avait finalement révélée pour une première fois à quelqu'un de sa famille : moi: sa sœur.

Nous nous sommes serrés dans les bras l'un de l'autre et nous avons pleuré.

Cette rencontre fut véritablement spirituelle et elle avait ouvert mon cœur. Et même si Chief allait être la seule personne à connaître cette partie de mon histoire pendant longtemps, ma décision de la partager avec lui me semblait la bonne.

S'en sortir et se reconstruire

J'ai toujours eu des soupçons sur la façon dont le VIH m'avait été transmis et sur la personne par laquelle cela été arrivé, mais je n'avais jamais eu l'occasion de me retrouver face à elle. Jusqu'au jour où cet individu est venu me voir. Il m'a dit qu'il avait été récemment diagnostiqué séropositif, qu'il m'avait peut-être transmis le virus et que je devais faire un test.

La nature de ma réaction à la situation à l'époque reste encore et toujours incroyable pour moi. Au lieu de ressentir plus de colère envers mon ancien amant, les pensées et sentiments négatifs que j'avais eu auparavant et qui subsistaient encore en moi ont alors commencé à se dissiper. Entendre ses mots m'a aidée à me réconcilier avec les blessures et les expériences du passé, et cela m'a donné de la force. À cet instant, ce fut comme si j'avais davantage d'amour pour cet homme parce qu'il avait trouvé le courage de me divulguer son statut.

Après avoir été séparée de ma famille pendant 13 ans, j'ai finalement eu le courage de faire un premier pas. Je craignais d'être rejetée, mais d'une certaine manière, je savais que ma vie dépendait de cette reprise de contact. J'étais en prison à l'époque et à des kilomètres de ma famille à Winnipeg, mais j'ai décroché le téléphone et j'ai appelé ma sœur.

"Qui est-ce ?" a demandé ma sœur d'un ton sec, pensant qu'il s'agissait d'une blague.

"C'est moi, Bubbles", ai-je répondu avec insistance.

Je pouvais l'entendre respirer à l'autre bout du fil, visiblement sans voix. Et elle s'est mise à pleurer.

J'étais stupéfaite. Ma propre sœur n'avait pas reconnu ma voix, et ne croyait pas à mon appel. J'étais restée éloignée de ma famille pendant tout ce temps pour la protéger. Je voulais les empêcher de voir jusqu'à quelles extrémités je m'étais rendue (avec ma toxicomanie et mon absence de domicile fixe), mais en réalité, je leur faisais encore plus de mal en n'étant pas avec eux.

Plus tard, je me suis demandé en me regardant dans le miroir: "Est-ce vraiment ce que tu veux faire pour le reste de ta vie ?" Ce coup de fil larmoyant avec ma soeur m'avait réveillée. Il m'a donné envie de changer et de revenir vers ma famille.

Peu de temps après, j'ai été présentée à un tribunal de traitement de la toxicomanie et, pour la première fois de ma vie, je me suis soumise à l'autorité. J'étais nerveusement à bout, en proie à des convulsions permanentes et encerclée par les drogues, mais j'ai réussi, de façon précaire, à naviguer au travers de ce nouveau territoire sombre et incontrolé avec pour seul objectif, celui de retourner dans ma famille.

Après avoir terminé mon programme à Ottawa, je me suis retrouvée dans un train pour Winnipeg.

"Comment allais-je réagir en revoyant ma famille ?" . Cette question me hantait. Je ne savais pas comment anticiper ma réaction. Je n'avais pas vu ma famille depuis si longtemps.

Lorsque je suis arrivée à la demeure familiale, l'extérieur de la maison était décoré de longs rubans jaunes. Ma famille se tenait ensemble, souriante et elle chantaient "Tie A Yellow Ribbon Round The Ole Oak Tree" parce que je rentrais enfin chez moi.

Avec ces retrouvailles et ce nouveau départ, je ne voulais pas repousser la divulgation de mon statut VIH à ma famille. Je sentais qu'ils devaient savoir.

Après leur avoir dit ce que j'avais à dire, - à ma grande surprise - ils m'ont prise dans leurs bras. Je me suis sentie acceptée. Ils m'avaient acceptée pour ce que j'étais, et non pour ce que j'avais. Bien sûr, ils ne comprenaient pas grand-chose au VIH à l'époque (ni moi non plus), mais j'étais reconnaissante qu'ils soient prêts à faire en sorte d'en apprendre davantage avec moi.

S'exprimer

L'étape suivante que j'ai franchie pour accepter mon diagnostic fut le jour où j'ai passé les portes de HIV Edmonton. J'étais mal à l'aise, j'avais peur et j'étais sobre depuis peu. Toutes les émotions étaient nouvelles et tout était très abrupt pour moi. L'idée même de me joindre à un " groupe VIH " était inconcevable pour moi à l'époque.  

Mais il ne m'a pas fallu longtemps pour que je partage mon histoire avec un groupe d'infirmières, dans l'espoir de mettre en lumière les expériences négatives et diffamatoires que j'ai subies en tant que personne vivant avec une maladie stigmatisée.

Plus je racontais mon histoire et mieux je me sentais. Je sentais un sentiment de légèreté m'envahir. Plus je parlais à des gens, plus je me sentais appréciée et comprise... et cela me faisait chaud au cœur !

Quand je repense à cette rencontre nocturne avec Chief dans le parc, je me dis que c'est lui qui m'a aidée à trouver ma voie et ma voix - probablement sans le savoir - et qu'il a initié le cheminement qui m'a finalement ramenée vers ma maison, vers ma famille et, surtout, vers moi-même.

Vous voulez en apprendre plus sur Ann ?

Comme vous l'avez compris de son histoire ci-dessus, Ann trouve à la fois de la force et du réconfort dans le fait de partager son histoire. Elle a fait l'objet d'un article dans un journal télévisé de la CBC en 2017, au sujet de sa participation à un événement de la Journée mondiale du sida. Elle a contribué à un article publié dans l'édition de l'hiver 2016 de The Positive Side de l'organisme CATIE, , concernant sa relation avec ses médicaments contre le VIH.

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