Faits et perspectives

Femmes noires et épidémie d'épuisement professionnel : Prendre soin des autres (plus que de soi)... toute une histoire (3ème partie)

18 novembre 2021
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Bienvenue dans ce troisième article de notre série sur les femmes noires et l'épidémie d'épuisement professionnel. Dans les publications précédentes, nous vous avons d'abord présenté le concept d'épuisement professionnel et la manière dont il affecte les femmes africaines, caribéennes et noires (ACN) d'une manière particulière, puis dans le deuxième billet de blogue, j'ai parlé de mes expériences personnelles. Nous vous suggérons de lire ces deux articles avant de poursuivre avec ce troisième billet.

Dans celui-ci, nous allons plonger plus profondément dans le contexte historique et examiner le coût contemporain du concept de "prendre soin" (caring).

Histoire du concept de "prendre soin" (caring)

Le stéréotype de la Nounou. Jim Crow Museum of Racist Memorabilia. Picture, Big Rapids, MI.

Les femmes noires ont été associées à des rôles de personnes en charge de soins attentionnés et bienveillants, depuis l'époque de l'esclavage. Des clichés et des stéréotypes tels que la "Gentille nounou noire" ont façonné la vision de la société sur le rôle des femmes noires. La "Nounou noire" dépeint une femme noire qui est fondamentalement heureuse de servir son "maître" et de faire passer les besoins de celui-ci avant les siens. Ce "personnage" était destiné à apaiser la culpabilité et la tension ressenties par ceux qui ont encouragé et participé à la perpétuation de l'esclavage.

Le cliché de la "Mama", une espèce super-héroïne noire forte et capable d'affronter tous les obstacles qui se dressent sur son chemin sans repos ni soutien, va souvent de pair avec celui de la "Nounou".

Voyons comment ces stéréotypes continuent d'affecter les femmes ACN sur le marché du travail aujourd'hui.

Cette vision sur les femmes ACN s'est répandue dans le monde du travail et a fait en sorte que les employeurs et les personnes avec un pouvoir hiérachique n'offrent pas le même soutien aux femmes ACN qu'à leurs autres employés. Par conséquent, celles-ci se retrouvent et se sentent souvent surchargées de travail et sous-estimées. Ainsi, dans une étude menée par le Gallup Center on Black Voices, il apparaît que seulement 33 % des femmes noires se sentaient appréciées au sein de leur équipe de travail, contre 38 % des femmes blanches et 42 % des hommes blancs.

La société n'a jamais su se détourner de ces stéréotypes. La plupart des femmes ACN continuent de travailler dans le secteur des soins en tant que "cols roses" (des cols bleus dans cet univers des soins), notamment dans le domaine de la santé en tant qu'infirmières, travailleuses sociales et assistantes médicales, et autres. En fait, actuellement, un tiers des femmes noires sont employées dans des emplois de service, de soins ou de première ligne, contre un cinquième des femmes blanches. De plus, le travail des femmes ACN ne se limite pas à l'environnement professionnel : elles sont souvent aussi les principales personnes en charge de "prendre soin" des membres de leur famille et de leur foyer.

(Travail non-stop + Prendre soin aux autres 24h/24) - (Soutien + Temps pour prendre soin de soi) = Épuisement professionnel

En considérant cela, la vie de la plupart de ces femmes peut se ramener à une simple équation qui ressemble à : (Travail non-stop + Prendre soin aux autres 24h/24) - (Soutien + Temps pour prendre soin de soi) = Épuisement professionnel. Essentiellement, les exigences inéquitables qui sont imposées aux femmes ACN font qu'elles ont un plus grand besoin de soutien, soins et d'attentions pour elles-mêmes, tout en ayant pourtant moins de temps ou d'accès à ces derniers.

Prolonger l'analyse : mes expériences personnelles
en relation avec l'univers des soins... qui ne prend pas soin de ses acteurs (actrices)


Quand je pense aux femmes ACN et à leur travail dans le domaines des soins, je ne peux m'empêcher de penser à ma grand-mère.

Birchman, J. (2020). 3 Black women across generations . Hello Giggles.

Les histoires dont je me souviens le plus à propos de ma grand-mère sont celles que l'on m'a racontées sur le fait qu'elle travaillait dur. Elle avait plusieurs emplois et travaillait de longues heures, puis elle rentrait à la maison pour s'occuper de mon grand-père et de ses six enfants. Lorsqu'elle a déménagé au Canada afin d'offrir une meilleure vie à ses enfants, elle les a laissés pendant deux ans pour faire des ménages chez d'autres personnes et travailler comme préposée aux services de soutien à la personne.

Et même si elle n'était pas physiquement présente, elle restée toujours chargée de s'occuper de sa famille et de faire passer ses propres besoins en dernier. Cette forme de prestation de services et de soins "transnationaux" n'est pas propre à ma famille. D'après mes propres connaissances, je pense que la plupart des femmes ACN ont déjà envoyé à la famille restée au pays une malle ou une grosse valise ou alors un peu d'argent via un service de transfert d'argent.

Découvrons comment le projet "Because She Cares" a saisi et abordé cette notion du "prendre soin"

Le concept de "prendre soin" a été fréquemment évoqué par les narratrices du projet Because She Cares, un projet qui recourt à des méthodes orales et à des performances artistiques construites sur des perceptions africaines du monde. Ce projet a pour but de partager les histoires de femmes ACN qui vivent avec le VIH et qui sont employées dans des organismes canadiens de lutte contre le sida (OLS).

Beaucoup de ces femmes sont des immigrantes qui ont dû laisser derrière elles dans leur pays d'origine certains membres de leur famille pour venir au Canada afin de trouver un meilleur emploi et de meilleures opportunités. "Because She Cares" explore ce sujet sous l'angle de "Prendre soin des autres, Prendre soin de soi" et souvent, cette perspective nous ramène directement à des discussions sur l'épuisement professionnel. Car "Prendre soin des autres" est généralement positionné prioritairement par rapport à "Prendre soin de soi".

Je prends également soin de ma famille et de moi-même.

Dans le poème "Je prends également soin de ma famille et de moi-même", Joy*, une narratrice de "Because She Cares", note (traduction libre) : "L'argent que je gagne en travaillant ? Il va à ma famille. Je vais peut-être envoyer 100 dollars à mon fils. Et à ma sœur aussi. Oui. À tous. Et avec l'argent qui me reste ? J'achète mon épicerie. Je paie mes factures. Et s'il me reste de l'argent, je le mets de côté. Je ne dépense pas beaucoup d'argent. L'OLS a une banque alimentaire à laquelle je peux recourir. Je ne dépense pas beaucoup pour les loisirs. Donc, je partage mon argent, en trois parties. Et je le partage précautionneusement. Je prends également soin de ma famille et de moi-même.

En réfléchissant à la façon dont ma mère décrit l'état d'esprit de ma grand-mère durant les dernières années de sa vie, on ne peut que parler d'épuisement professionnel. Et cela s'est passé 22 ans avant la COVID qui nous a fait rentrer dans une ère dans laquelle tout le monde est plus familier avec ce concept. Et nous parlerons du rapport COVID/épuisement professionnel dans le prochain article de cette série.

Le poids et le coût qu'engendre cette charge de "prendre soin" se perpétuent aujourd'hui, alors que les femmes ACN doivent faire face au stress de devoir "prendre soin" 24 heures sur 24 au travail, dans leurs communautés et à la maison, alors que le temps et les ressources pour prendre soin d'elles-mêmes sont inaccessibles.

Étapes suivantes

Restez à l'écoute pour découvrir le prochain billet de blogue de cette série, dans lequel j'examinerai plus en profondeur certains des impacts que la COVID-19 a eu sur de nombreuses femmes ACN. Je me pencherai sur le poids et le coût qu'a la charge de "prendre soin" pour de nombreuses femmes employées dans le secteur de la santé et/ou dans des rôles de prestataires de soins. Je parlerai également de certaines solutions possibles.

 * Le nom a été modifié pour des raisons de confidentialité.

Ce billet de blogue a été rédigé par Teresa Bennett, une étudiante-chercheuse associée à REACH Nexus. Teresa est titulaire d'un baccalauréat spécialisé (Hons. BSc) en sciences (sciences de la santé) de l'Université Wilfrid Laurier.

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