Faits et perspectives

Comprendre l'indétectabilité du VIH : « Si I est égal à I, que signifie le deuxième I ? »

4 décembre 2020
Faites défiler vers le bas

Depuis plus de cinq ans, la campagne I=I s'efforce de diffuser les connaissances scientifiques les plus actuelles concernant le VIH et sa transmission. L'analyse de plus d'une décennie de recherches cliniques établit qu'il existe des preuves scientifiques irréfutables qui démontrent que l'indétectabilité du VIH (c'est à dire l'incapacité pour un test de charge virale standard de détecter le VIH dans le sang d'une personne vivant avec le VIH) signifie qu'une personne qui vit avec un VIH indétectable ne peut pas transmettre le VIH par voie sexuelle, ou que le VIH est intransmissible.

Oui, les personnes vivant avec le VIH qui parviennent à atteindre et à maintenir une charge virale indétectable grâce aux médicaments antirétroviraux ne peuvent pas le transmettre !

Notre équipe de recherche s'est intéressée à l'impact de cette nouvelle avancée scientifique sur les hommes canadiens appartenant à des minorités sexuelles et vivant ou non avec le VIH. Des campagnes nationales ont communiqué des messages tels que #I=I, #lesFaitspaslaPeur et #laSciencepas laStigmatisation. Mais il est important de savoir comment les hommes gays, bisexuels, queer ainsi que les autres hommes ayant des relations sexuelles avec d'autres hommes (HARSAH) ont compris la signification de l'« indétectabilité » du VIH dans leur vie quotidienne sociale et sexuelle. 

Entre fin 2016 et début 2017, nous avons conversé avec 25 hommes de Colombie-Britannique appartenant à des minorités sexuelles et ayant des identités sexuelles et de genre différentes. Cet échantillon comprenait à la fois des hommes séronégatifs et des hommes vivant avec le VIH. Nous avons interrogé les participants à notre étude sur leurs connaissances générales et leurs comportements en matière de santé sexuelle, y compris en ce qui a trait à la charge virale du VIH et l'indétectabilité.

La plupart des participants avec lesquels nous nous sommes entretenus ont mentionné que l'indétectabilité signifiait une probabilité réduite que les personnes séropositives puissent transmettre le VIH par voie sexuelle. Globalement, ces hommes ont compris que l'indétectabilité signifiait une réduction de la transmission plutôt que la non transmission. Comme l'a dit Owen: « c'est comme si 99,9% d'eux ne transmettaient pas le virus ». (Tous les noms utilisés ici sont des pseudonymes).  

Pour certains hommes, l'indétectabilité était un terme médical lié au dernier test effectué par une personne séropositive, mais ils n'étaient pas tout à fait sûrs de ce que cela signifiait pour eux personnellement. Certains hommes ont déclaré que le test de laboratoire peut bien sûr dire « indétectable », mais que ce n'est pas un résultat auquel une personne séronégative peut faire entièrement confiance. Paul l'a exprimé ainsi :

...considérer qu'elles [les personnes vivant avec le VIH] n'ont pas le virus, mais rester quand même vigilant.

Certains hommes se demandaient si le fait d'être indétectable au moment du test signifiait que la personne resterait indétectable à l'avenir.

Un petit groupe d'hommes s'est complètement distancé du concept d'indétectabilité. Pour eux, cela ne signifiait rien et ils estimaient que cela ne devait rien signifier pour eux. Si quelqu'un est séropositif, il est séropositif. Comme l'explique Michael, « si quelqu'un me dit qu'il est indétectable, je laisse cette information de coté de toute façon, ce que je retiens c'est qu'il est séropositif. Je lui dis que cela n'a vraiment aucune importance pour moi. Soit on est séropositif, soit on ne l'est pas. »

Il est apparu que l'indétectabilité du VIH engendait chez certains des hommes à qui nous avons parlé un sentiment de malaise ou de doute. Pour d'autres, l'indétectabilité était scientifiquement incertaine ou simplement sans importance. Nous avons qualifié ce sentiment d'appréhension chez les hommes gays, bisexuels, queer et les autres HARSAH de scepticisme face à l'intransmissibilité.

Certains hommes séronégatifs qui ont fait preuve de scepticisme face à l'intransmissibilité ont déclaré qu'ils n'étaient pas enclins à avoir des relations anales sans préservatif avec des hommes indétectables. D'autres ont explicitement déclaré qu'ils n'auraient aucune interaction sexuelle avec une personne indétectable. Pour ces hommes, « le jeu n'en vaut pas la chandelle ».

L'épidémie de VIH fait peser un lourd fardeau social, économique et sanitaire sur les hommes homosexuels du monde entier.

Un long chemin a été parcouru et nous avons considérablement allégé le fardeau économique et sanitaire associé au VIH, mais il est évident que le fardeau social persiste aujourd'hui. Nous pensons que les décisions en matière de pratiques sexuelles prises par tous les hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes doivent être fondées sur des faits dont les gens peuvent être totalement certains.

Alors, comment aller de l'avant ?

Il semble exister une rupture entre la communauté scientifique et certains membres de la communauté homosexuelle au sens large. Il est probable qu'avec le temps, à mesure que se diffuseront les informations et les messages sur l'indétectabilité du VIH, le scepticisme face à l'intransmissibilité diminuera également. Mais nous devons faire plus.

Nous pensons qu'une prochaine étape essentielle dans la diffusion d'informations fiables et claires sur le VIH et les pratiques sexuelles saines consiste à s'assurer de l'adhésion et de la participation des prestataires de soins de santé.

Des données récentes issues d'une enquête internationale sur les personnes qui vivent avec le VIH ont révélé qu'environ un tiers des participants ont déclaré que leurs prestataires de soins de santé n'avaient pas discuté de I=I avec eux. Une autre enquête menée auprès d'adultes qui vivent avec le VIH aux États-Unis a révélé qu'environ 80 % des personnes interrogées estimaient que les messages "I=I" leur permettaient de se sentir mieux par rapport à leur propre statut VIH. Ils pensaient également que ces messages avaient un impact positif face à la stigmatisation liée au VIH.

En plus d'intégrer le concept I=I dans les directives nationales et internationales en matière de soins de santé qui concernent les échanges avec leurs patients, nous devons parler aux prestataires de soins de santé de tout le Canada pour leur demander ce qu'ils savent de l'indétectabilité du VIH et comment cela affecte leur pratique.

Notre espoir est que les prestataires de soins de santé aient des conversations avec tous leurs patients sur la transmission et l'indétectabilité du VIH, que ces patients vivent avec le VIH ou non. De cette façon, chacun pourra prendre des décisions informées et éclairées concernant ses pratiques sexuelles.

Pour améliorer la santé sexuelle de la communauté homosexuelle au sens large, nous devons continuer à enrichir de ressources et d'informations fiables nos boîtes à outils de prévention du VIH. Il est nécessaire de diffuser largement des messages à propos d'I=I pour lutter contre le manque d'information et la confusion chez certains HARSAH. Il faut notamment lutter contre les malentendus que nous avons découverts dans le cadre de nos recherches sur le sens de la prophylaxie pré-exposition (PPrE) et de l'indétectabilité du VIH.

Partagez les résultats de l'étude sur les médias sociaux!

Nous devons également veiller à ce que toutes les personnes qui vivent avec le VIH bénéficient d'un accès fiable aux médicaments antirétroviraux et reçoivent le soutien nécessaire pour suivre un traitement si elles le souhaitent. Ensemble, ces initiatives ont le potentiel de prévenir de nouvelles transmissions du VIH et de réduire la stigmatisation liée au VIH. Ceci, en fin de compte, enrichira la vie sociale et personnelle de tous les hommes homosexuels.

Daniel Grace et Jad Sinno
University of Toronto, Dalla Lana School of Public Health

Des questions sur l'étude ?

Laissez-nous un commentaire ci-dessous ou contactez Daniel directement :

Daniel Grace, Ph.D.
Professeur associé, Dalla Lana School of Public Health, University of Toronto
Chaire de recherche du Canada sur la santé des minorités sexuelles et de genre
Daniel.Grace@utoronto.ca
.

Vous pouvez également consulter en libre accès, la publication complète évaluée par des pairs ici. Et si vous n'avez pas visité notre page de blogue depuis un petit moment, notez que nous avons ajouté quelques autres articles liés à l'I=I et à la PPrE. Allez les consulter !

Veuillez cliquer ici pour consulter nos conditions d'utilisation et notre politique de confidentialité qui comprennent des informations importantes sur les commentaires et l'usage des médias sociaux